Interview BFM | Taxation des vins français exportés aux USA : quelles conséquences ?

BFM-Taxes-US-vinsIl y a quelques jours sur BFM Business, Angélique de Lencquesaing évoquait avec Guillaume Sommerer et Cédric Decoeur, dans le cadre de l’émission Intégrale Placements, la récente décision prise par Donald Trump d’alourdir les taxes sur les vins français exportés aux Etats-Unis. Retrouvez son interview.

Voir l’interview BFM Business d’Angélique de Lencquesaing

GS – Le monde du vin s’est ému de la récente annonce d’une taxation supplémentaire des vins français à destination des Etats-Unis. Pouvez-vous nous rappeler ce qu’il en est réellement ?

Les Etats-Unis ont en effet annoncé la mise en place, à compter du 18 octobre 2019, d’une taxe de 25% ad valorem – il ne s’agit pas d’une augmentation des frais de douane mais bien d’une taxation de la valeur des biens – qui frappe 150 produits, incluant certaines catégories de vin.

Cette annonce n’est en fait pas récente, c’est l’annonce de sa mise en œuvre qui l’est, et d’ailleurs certains de nos clients, importateurs de vins, s’y préparaient depuis la fin du premier semestre.
Mais il est certain qu’elle frappe un gros coup sur notre activité à l’export.

GS – Que représentent les USA pour les exportations de vin français ?

Ce pays est tout simplement le 1er marché à l’export pour nos vins et spiritueux.

L’Asie est sur toutes les lèvres (notamment les nôtres chez iDealwine) mais ce pays historiquement grand amateur de vin français demeure notre premier marché.

Sur les 13,2 milliards d’euros de vin exportés en 2018, 3,2Mds ont pris le chemin des Etats-Unis soit près de 20%, un chiffre en hausse de 4,6%. Et au cours du premier semestre la croissance s’est même accélérée : +16,5%.

GS – Toutes les régions viticoles ne sont pas impactées de la même manière par cette nouvelle taxe…

En effet, cette taxe concerne les vins tranquilles. Les vins effervescents et les boissons titrant un degré d’alcool supérieur à 14° ne sont pas concernés. La Champagne et les spiritueux sont donc exclus du champ de la taxe.

En revanche, pour Bordeaux qui n’avait pas besoin de cela, l’impact est significatif. Les USA représentent le 2ème marché à l’export pour les vins de cette région avec 26 millions de bouteilles vendues en 2018.

La Bourgogne est elle aussi lourdement impactée par cette mesure puisqu’un quart de ses exportations sont destinées aux USA (ce qui représente 12,5% de ses ventes). J’ajoute que les vins les plus exportés aux USA sont les 1ers crus et les grands crus : 43% des exportations de vins de Bourgogne aux USA concernent la partie la plus qualitative de la production de cette région.

GS – 14°. Avec le réchauffement climatique, certains vins français peuvent y échapper aussi ?

Oui, c’est sans doute le cas de certains des vins produits dans la vallée du Rhône, qui peuvent titrer à plus de 14° d’alcool, et d’une manière générale dans les vignobles méridionaux.

Je ne sais pas si c’est une bonne nouvelle mais le réchauffement climatique pourrait exclure demain d’autres catégories de vins. Certains Bordeaux, notamment en 2019, sont très concentrés et la teneur en alcool peut atteindre, voire dépasser les 14°.

GS – La compétitivité des vins français est donc en jeu.

Oui, car tous les pays producteurs ne sont pas impactés par cette mesure. Les USA ont réservé ce traitement aux partenaires du groupe européen Airbus (la France, l’Allemagne, l’Espagne et le Royaume-Uni) par mesure de rétorsion dans un conflit qui relève du secteur aéronautique. Les vins espagnols et allemands feront donc eux aussi partie des victimes collatérales d’un conflit qui ne concerne en rien la filière viticole.

Permettez-moi de rappeler que cette filière, qui emploie 500 000 personnes, représente avec ses 13,6Mds d’euros d’exportations en 2018 le 2ème excédent de notre balance commerciale à l’export (derrière le secteur aéronautique, d’ailleurs).

J’ajoute que l’Italie est exclue du champ de la taxe, et c’est là où le bât blesse. Ce pays est déjà un concurrent de poids pour les grands crus français, il est notre compétiteur le plus sérieux. Nous allons probablement le mesurer, et en souffrir dans les mois à venir.

GS – Ressentez-vous déjà dans votre activité les impacts de cette mesure ?

Les Etats-Unis représentent pour l’instant une part infime des ventes d’iDealwine (moins de 5%), pour des raisons de complexité à l’importation notamment. Les USA sont un pays hautement protectionniste et les barrières à l’entrée dans le pays sont nombreuses. Un système dit des trois tiers est en place. Chaque vin qui entre sur le territoire américain passe par un importateur, puis un grossiste, puis un détaillant. A ces marges successives, il faudra donc ajouter 25% de taxes ce qui pèsera inévitablement sur la compétitivité de nos vins

C’est d’autant plus regrettable que, malgré le protectionnisme américain, nos ventes sont en forte croissance en raison du caractère unique de notre offre et des vins rares que l’on peut trouver aux enchères. La croissance depuis un an est de 60% sur ce marché !

A l’échelle de l’hexagone, le dynamisme est réel : comme je vous le disais au premier semestre 2019 les exportations de vins français aux US ont augmenté de 16,5%

GS – Vos clients vont donc cesser de commander les vins impactés par cette mesure ?

Nos clients nous ont pressés de livrer au plus vite les commandes déjà passées pour éviter les taxes.
Certains ont d’ores et déjà renchéri le prix des vins français sur leurs tarifs. C’est là où la comparaison avec les vins d’autres pays va commencer à faire mal.

Enfin, d’autres nous ont confirmé qu’ils allaient développer leurs achats sur des segments non impactés, le Champagne notamment.

Donc oui, l’impact est réel, d’autant que ces intervenants, qui sont des professionnels du marché, nous ont signalé que le niveau de prix des vins français n’était déjà pas spécialement jugé attractif. Cette taxe va donc renforcer l’idée que les vins français sont des vins chers. Trop chers.

GS – Pour l’investisseur en quête de placement, en matière de vin, quelles seraient donc les recommandations ?

Il est important de garder son sang-froid dans ce type de situation. Toutes les fédérations régionales de viticulteurs ont appelé solennellement le Ministre de l’Economie et le Président de la République à agir pour que cette sanction collatérale soit levée. Nous gardons donc espoir qu’un compromis soit trouvé dans le litige qui oppose Boeing au groupement Airbus.

Si cette mesure devait se pérenniser, elle aurait pour conséquence de tourner le regard des amateurs vers les vins non impactés par la taxe, bien sûr, mais plus que jamais également vers les vins rares, ceux qui seront toujours recherchés même avec un supplément de taxe.

A cet égard la Bourgogne devrait tirer son épingle du jeu. Mais pour d’autres régions l’impact sera extrêmement néfaste.

GS – Le marché américain est traditionnellement grand amateur de vins de la vallée du Rhône.

Oui, ces vins ont été popularisés par le critique Robert Parker qui a contribué à les faire connaître. Au point que certains flacons de Châteauneuf du Pape sont à peu près introuvables en France, l’essentiel de la production prenant directement le chemine des USA.

Il faut savoir que Châteauneuf exporte 75% de ses 14M de bouteilles produites annuellement vers l’étranger. Et les Etats-Unis représentent 15 à 20% des exportations de vins de cette région.Nous constatons effectivement, de la part de nos clients américains, une demande soutenue pour les vins produits par des domaines aujourd’hui disparus de côte rôtie (Gentaz Dervieux), de cornas de Noël Verset. Les châteauneufs du pape sont aussi recherchés, notamment tous les vins produits par Emmanuel Reynaud, du Château Rayas.

Mais nos clients américains n’achètent pas uniquement des vins de la vallée du Rhône. Ils sont d’ailleurs à l’origine de certains mouvements de hausse de cours significatifs. Ils ont contribué à développer l’engouement pour les vins du Clos Rougeard, dans la Loire, par exemple. Et plus récemment, ils ont commencé à jeter leur dévolu sur les vins nature, notamment ceux du Jura, qui connaissent actuellement une envolée planétaire.

Le marché US est un marché de connaisseur, un marché très mature, ce serait une perte immense pour notre pays de ne plus pouvoir commercer avec les Etats-Unis.

GS – Recommandez-vous aux amateurs de se focaliser sur les vins étrangers ?

Il est certainement opportun de tourner le regard vers les grands vins étrangers, et tout particulièrement les vins italiens, qui produisent, on le sait de longue date, de véritables trésors qui méritent de figurer dans les caves des grands amateurs.

Ces vins sont bien identifiés sur le marché mondial des enchères, donc ils constituent d’excellentes valeurs de placement. D’autant qu’ils sont dotés d’une admirable garde. Les grandes signatures de Toscane (Sassicaia, Ornellaia, Masseto, Le Pergole Torte) et du Piémont (Voerzio, Roagna, Sandrone, Elio Altare, Rinaldi…), sans compter que nombre de domaines sont aujourd’hui engagés dans des démarches qualitatives et prennent la voie du bio, de la biodynamie et des vins natures (Occhinpinti, Foradori) méritent assurément d’être suivis de près.

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