Chaque année, Bordeaux se pare de ses plus beaux atours pour accueillir les professionnels du monde entier venus découvrir le millésime. L’exercice – ô combien délicat – consiste en quelques jours, à cerner dans les grandes lignes le profil d’une année. Un vrai exercice d’humilité, surtout quand l’on sait qu’il revient à résumer en quelques mots le fruit d’une année de travail dans la vigne et au chai. Angélique de Lencquesaing s’y est essayé au cours de l’émission Intégrale Placement, sur BFM Business, en dévoilant à Cédric Decoeur les premières impressions de l’équipe.
- Angélique, vous revenez des dégustations primeurs du millésime 2018. Et pour l’amateur de vin, investir dans un nouveau millésime est une question cruciale. Alors quels sont les premiers retours sur ce fameux 2018, manifestement très attendu ?
L’équipe d’iDealwine n’a pas pour vocation d’effectuer, à l’instar de Jacques Dupont pour le Point, des équipes de la Revue du vin de France ou Bettane + Desseauve, des compte-rendu exhaustifs sur chaque vin produit dans le millésime. Notre équipe était effectivement présente à Bordeaux la semaine dernière pour prendre le pouls du 2018, pour nous faire une idée de la qualité générale, dans la perspective de nos achats. Je précise qu’iDealwine ne vend pas en primeur, nous attendons la livraison des vins en bouteilles pour les proposer à la vente à nos clients amateurs du monde entier. C’est un choix stratégique.
- Donc, vous avez pris le pouls du millésime 2018. Comment est le patient ?
En pleine forme ! Et pourtant le marathon de l’année 2018 n’a pas été exempt d’obstacles. La première moitié de l’exercice a concentré, à elle seule, le niveau de pluviométrie que l’on observe généralement sur une année entière. A la clé, dans certains domaines, les maladies telles que le mildiou ont fait des ravages. Ajoutez à cela de redoutables nuits de gel, passées inaperçues – car au moment de la finale de la Coupe du monde de football – mais n’oublions pas que certains domaines ont dû renoncer à produire du vin en 2018. C’est notamment le cas du Château La Lagune. Ça, c’est pour la première partie de l’année. Il s’en est suivi un été somptueux, chaud, tellement chaud qu’il a parfois provoqué dans certaines parties du vignoble du stress hydrique. Le terroir a fait la différence, l’argile présente dans les sols a joué son rôle d’éponge, en absorbant les excès d’eau, pour les restituer au moment où la vigne en avait besoin. Et dans certaines parties du vignoble comme le nord du Médoc, quelques gouttes de pluie, bienvenues à la fin de l’été, ont ouvert une longue fenêtre de vendanges.
- Une longue fenêtre de vendanges, c’est-à-dire ?
Dans nombre de propriétés, les équipes ont eu – et ça n’arrive pas toujours –la liberté de choisir la date de la récolte. D’attendre patiemment que les raisins arrivent à parfaite maturité. Sans devoir se précipiter parce que l’orage, ou la pluie, menace. A Cheval Blanc, j’ai participé à une journée de vendanges, l’ambiance était parfaitement détendue car après les merlots que nous récoltions ce jour-là, fin septembre, l’équipe se préparait sereinement à cueillir les cabernets, dont la maturité est traditionnellement plus tardive.
- Bordeaux tiendrait donc un nouveau « millésime du siècle » ?
La perception globale est extrêmement positive, dans l’ensemble les vins déploient un toucher de bouche soyeux, étonnamment abordable dès aujourd’hui. On a affaire à des vins puissants, mais conservant beaucoup de fraîcheur en fin de bouche. Un bel équilibre. Nous avons l’occasion de goûter les vins avant les ventes en primeur depuis le millésime 2007, et nous constatons une réelle évolution : Bordeaux produit aujourd’hui des vins plus aimables dans leur jeunesse, sans pour autant renier la capacité de garde, un changement de style s’annonce…
- Cette observation est valable dans tout le vignoble ?
Les vins de Pessac-Léognan sont étincelants (Haut-Brion et la Mission, Haut-Bailly, Carmes Haut-Brion, Smith, Pape Clément), tout particulièrement en rouge. Dans le Médoc, le Nord a bénéficié d’excellentes conditions climatiques – ces fameuses gouttes d’eau qui ont favorisé une belle maturation finale des baies – et donne des vins impressionnants de concentration, avec de belles maturités à Pauillac (Pontet Canet, Pichon Comtesse, Lynch Bages) ou à Saint-Estèphe (Lafon Rochet). Le ressenti est un peu plus inégal à Saint-Julien ou à Margaux, même si dans ces deux appellations les réussites sont nombreuses (Beychevelle, Branaire Ducru, Léoville Poyferré à Saint-Julien, Giscours, Siran à Margaux). Ce sentiment est également partagé pour ce qui concerne les vins de Saint-Emilion, là c’est le terroir qui parle –cf ce que je vous disais sur le terroir et les argiles – . Figeac est somptueux, Cheval Blanc impressionne par son équilibre. D’autres vins donnent une impression plus mitigée, plus dilués pour certains. A Pomerol, idem, le grandiose La Conseillante s’impose, puissant, concentré, presque intimidant à ce stade, somptueux. Ailleurs dans l’appellation on trouve des vins plus tendres.
- Alors, millésime du siècle ou pas ?
2000, 2005, 2009, 2010, 2015, 2016, 2018 : on comptabiliserait donc déjà …sept millésimes du siècle ? On serait même presque à 8 si l’on n’excluait finalement le 2003, disqualifié depuis pour cause de canicule, ce qui a, pour nombre de vins, soulevé des interrogations sur les capacités de garde des vins (certains ont déjà atteint leur apogée). Il n’existe pas de millésime équivalent à 2018 en termes de pluviométrie, de cet écart entre les deux moitiés de l’année. Ce qui est certain c’est que l’on a très certainement affaire à un beau, un très beau millésime. Sans aucun doute.
- Vous venez de publier le Baromètre des enchères 2019, une analyse des dernières tendances sur le marché des grands crus. A votre avis, le marché peut-il absorber un 7e millésime du siècle ?
C’est vraiment la question aujourd’hui. La conjoncture économique n’est pas, a priori particulièrement favorable. Si l’on considère la situation de la Chine, dont on dit qu’elle est aujourd’hui à l’arrêt dans ses importations de Bordeaux, on peut légitimement s’interroger. Les exportations de vins de Bordeaux ont baissé de 14% en 2018. Celles destinées à la Chine ont chuté de 31% en volume. Mais attention, une chute à relativiser car en valeur les exportations n’ont diminué « que » de 22%. Le haut du panier, les grands crus les plus prestigieux, ont été épargnés.
Je me permets par ailleurs de relativiser ces chiffres inquiétants, à l’aune de ce que nous observons sur iDealwine. Les Chinois, gros clients d’iDealwine, mettent dans leur « panier d’achat » 49% de vins de Bordeaux, une proportion supérieure à celle de ce que les Français achètent. Ils recherchent avant tout les meilleurs crus. D’une manière générale, quel que soit le pays de destination, rappelons que Bordeaux reste la première région achetée aux enchères sur la plateforme d’iDealwine (45% des échanges en 2018).
- Il n’y a pas que la Chine. L’incertitude liée au Brexit ne va-t-elle pas plomber les achats des professionnels anglais ?
Les Anglais sont LES inventeurs du commerce mondial du vin. Ils sont pragmatiques. Même si le marché anglais est en perte de vitesse (-7,2% en volume pour les exportations de vin vers le Royaume-Uni), même si la livre se déprécie, les professionnels se sont certainement déjà organisés. Tous ont déjà des têtes de pont en Asie. Les flux vont se déplacer. Encore une fois, chez iDealwine ou rien ne se passe comme ailleurs, nous avons observé en 2018 une hausse de nos ventes de 33%. Les Anglais auraient-ils fait des réserves ? Cette croissance observée dans les ventes d’iDealwine doit toutefois être nuancée, car nos ventes ont progressé beaucoup plus vite en Europe hors Royaume-Uni (+48%) et le début de l’année 2018 vient confirmer ce ralentissement des ventes en Angleterre.
Ces bons chiffres indiquent que la demande existe, qu’elle continue de s’étendre. Il n’y a pas de raison que le 2018 ne se vende pas, il faut juste qu’il trouve son marché.
- Vous voulez dire qu’il soit vendu au bon prix. Justement, le prix, a-t-on de premières indications, sur les niveaux auxquels ils vont se fixer ?
La question est sur toutes les lèvres. On sait que les volumes non vendus de 2016 sont encore significatifs dans les stocks des négociants. Le marché commence à réaliser que certains 2017 ont été vendus à des niveaux (trop ?) élevés lors de la campagne primeur. Dans ce contexte, l’arrivée d’un grand millésime pose question. C’est d’ailleurs incroyable, quand on y pense. Il faudrait espérer un mauvais millésime pour assainir le marché ? C’est un comble, non ? N’oublions pas que le vin, en tout cas les grandes étiquettes dont nous parlons, sont entrés dans le registre des produits de luxe. Et donc, cette année, il faudrait échouer dans la réalisation de ces produits de luxe pour assainir le marché ? Ne faudrait-il pas, plutôt, cesser de raisonner de manière relative, à vouloir systématiquement augmenter les prix quand le millésime est beau ? Aujourd’hui, les grands domaines ont les moyens de réaliser un beau, un bon, un très bon vin. Quel que soit le millésime. La hausse de prix serait-elle le seul marqueur de la réussite d’un millésime ? Dans l’industrie du luxe la fixation du prix ne s’effectue pas de cette manière. Certes, le prix est un marqueur de l’industrie du luxe. Mais ce n’est absolument pas le seul critère de réussite. La fixation du prix prend également en compte l’état de la demande, la santé de l’économie, la confiance des consommateurs dans la marque, sa désirabilité.
- C’est un moyen de différenciation entre les millésimes, vous devez le constater dans les ventes aux enchères, tout de même…
Ce que nous constatons, sur des marchés plus émergents, c’est que les acheteurs sont moins sensibles au millésime qu’à la marque. Vraiment à la manière de ce qu’il se passe dans l’industrie du luxe. Aux enchères, nous voyons que les amateurs recherchent les vins de Mouton Rothschild, certes, plutôt le millésime 2000. Mais aussi les autres années, moins emblématiques – et encore relativement attractives en terme de prix -. Même chose pour tous les crus iconiques de la cote. C’est un peu vers cela que le marché devrait tendre, tout du moins dans sa conquête d’une clientèle nouvelle. Un prix lissé, pour une qualité qui reste s’est hissée désormais à son meilleur niveau.
Les primeurs, comment ça marche?
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