ProChile, le bureau commercial du Chili en France, vient d’organiser une dégustation de vins vinifiés à partir du cépage carménère, un vieux cépage… bordelais. Une belle découverte !
Drôle d’histoire que celle du carménère. Cépage important du Bordelais jusqu’à la fin du XIXe siècle, il a pratiquement disparu après la crise du phylloxéra … pour réapparaître au Chili cent ans plus tard. En fait, cette “réapparition” n’en est pas vraiment une. La réalité c’est que des plants de carménère avaient fait, sans doute par erreur, le voyage entre Bordeaux et le Chili alors qu’on pensait avoir expédié des plants de merlot. Il faudra attendre les travaux d’un ampélographe français au milieu des années 1990, pour se rendre compte que les plantations de ce qu’on appelait jusque-là le “merlot chilien”, produisant des vins fruités et épicés aux tannins doux, provenaient en fait d’un cépage que l’on croyait pratiquement disparu du monde viticole, le carménère !
Aujourd’hui, le Chili, avec plus de 8000 ha de carménère est le plus gros et presque le seul pays du monde à vinifier ce cépage. Dans ce pays il se place même à la troisième place des cépages de vins rouges. Un drôle de pays, soit dit en passant, mesurant à peine en moyenne 150 km de large pour une longueur de 4260 km, soit la distance entre Oslo (Norvège) et Dakar (Sénégal) ! Curieusement, pour la vigne, il y a plus de différences climatiques entre l’ouest (au bord du Pacifique) et l’est (au pied de la Cordillère des Andes) qu’entre le nord et le sud (en excluant les zones les plus extêmes). Enfin, dernière particularité de ce pays qui n’en manque décidément pas, près de 90% des vignes sont encore franches de pied (comme elles n’ont jamais été atteintes ou menacées par le phylloxéra, elles n’ont jamais été greffées sur des porte-greffes américains), un gage de typicité qu’on a malheureusement perdu en France et dans la plupart des pays producteurs. Notons en revanche que de rares domaines bordelais ont récemment replanté quelques parcelles en carménère comme le Château Brane-Cantenac à Margaux et le Château de Pressac à Saint-Emilion.
Cette dégustation proposait donc douze vins élaborés à partir du seul cépage carménère ou, dans quelques cas, à partir d’un carménère ultra dominant dans un assemblage comportant parfois une touche de merlot, de cabernet sauvignon ou de petit verdot). D’une façon générale, ces vins étaient assez plaisants, caractérisés par des tannins très souples, une certaine douceur en bouche et un joli fruité (plutôt noir que rouge). Avec un petit bémol pour signaler qu’on ressent trop souvent une volonté de s’aligner sur un supposé goût international, plus que sur celle de préserver l’originalité du cépage et des terroirs chiliens…
Viña MontGras Reserva Carménère 2011 : un nez de fruits noirs très mûrs, touches florales. Bouche suave, notes fumées, longueur fruitée, matière dense. Simple mais goûteux. (Prix indicatif 8,99 euros)
Viña La Rosa La Capitana Carménère 2010 : nez sur un fruité très mûr, notes de poire, assez complexe. Bouche dense, très mûre, notes de myrtille, finale sur une belle amertume fraiche. (Prix indicatif : 9,49 euros)
Viña Koyle Royale Carménère 2009 : nez marqué par un élevage boisé un peu appuyé. Touches florales et d’un joli végétal mûr. Bouche puissante mais suave, tannins très polis par l’élevage, un style moderne et bien fait. (Prix indicatif : 15 euros).
Viña Lapostolle Cuvée Alexandre Carménère 2009 : nez marqué par un “boisé chic”, mais qui reste agréable. Bouche avec un peu d’extraction, assez “carrée”, élevage marqué, on dirait un peu un bordeaux jeune. (Prix indicatif 27 euros).
Viña Casa Silva Microterroir Carménère 2007 : nez assez curieux, sur des arômes un peu artificiels entêtants. Bouche moins marquée, assez suave, mais simple et manquant de naturel. (Prix indicatif : 40 euros)
Viña Estampa La Cruz 2009 : nez frais, plus sur les fruits rouges que noirs (ces derniers étant dominants jusque-là). Bouche très “travaillée”. On sent une volonté œnologique qui s’impose et qui occulte un peu l’expression du cépage et du terroir. Elevage “luxueux” mais fin de bouche qui reste quand même assez dynamique, sans lourdeur. (Prix indicatif : 50 euros).
Viña Viu Manent El Incidente Carménère 2008 : le nez le plus subtil, le plus élégant jusqu’à présent, délicat, notes de petits fruits rouges et de baies sauvages. Très belle bouche avec une texture à la fois douce, épicée, suave et puissante, d’un équilibre magistral. Matière très goûteuse et dont la finale saline fait saliver. Un des deux grands vins de cette dégustation. (Prix indicatif : 64,5 euros).
Viña Concha y Toro Carménère 2008 : nez très marqué par un élevage appuyé “chic” mais masquant toute expression de fruit. Bouche une fois encore caractérisée par un élevage en barriques de forte chauffe, d’où ces sensations de lourdeur vanillée et sucrée. Un vin fatigant et sans aucune buvabilité.
Viña Santa Carolina Reserva de Familia 2009 : nez une fois encore marqué par un élevage boisé appuyé, mais un fruit mûr et assez frais arrive à s’exprimer derrière le bois. Bouche à la matière bien mûre mais à la tension un peu brûlante en finale (ce qui pourrait évoquer une acidification excessive). Globalement peu intéressant. (Prix indicatif : 15,99 euros)
Viña Perez Cruz Carménère Limited Edition 2010 : nez aux arômes très artificiel rappelant beaucoup le vin n°5. Bouche molle, facile, un peu écœurante, sans caractère. (Prix indicatif 15,97 euros)
Viña Antiyal Carménère 2010 : nez de fruits noirs qui reste très frais et délicat, sans aucune lourdeur. Bouche élégante à la matière déliée, sans aucune crispation, détendue et très pure. Cette matière un peu cristalline évoque une sensation de sols calcaires, pourtant rares au Chili. Très belle texture en bouche, avec un côté aérien. Finale graphitée et saline. L’autre très beau vin de cette dégustation. Il est révélé, après la dégustation, que ce vin est produit en biodynamie. Tiens, encore une pierre dans le jardin des sceptiques… (Prix indicatif : 45 euros).
Viña Errazuriz KAI 2009 : c’est le vin le plus cher de cette sélection et on sent malheureusement très vite que les producteurs ont sans doute voulu justifier ce prix en créant un vin un peu bling-bling : nez de fruits noirs très mûrs, très vanillé. Bouche un peu sucrée, épaisse, marquée par un boisé torréfié, le goût américain tel qu’on l’imagine depuis notre Europe. Un vin un peu caricatural avec un beau jus certes et des tannins agréablement polis, mais qui paraît très difficile à boire à table. (Prix indicatif : 95 euros).
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