Viticulture en France : facteurs physiques et influences culturelles 1

Pourquoi la viticulture ne s’est-elle pas développée au Moyen-Orient, au climat pourtant favorable tandis qu’elle s’est implantée dans des régions septentrionales autrement plus hostiles d’un point de vue climatique ? Pourquoi le tonneau est-il apparu dans les pays froids ? Pourquoi la Bretagne et la Normandie ont-elles vu leur vignoble décliner ? Comment les labours ont-ils sonné le glas de la viticulture ? Et les emblavures pris le pas sur les vignes ?

Les réponses à ces interrogations expliquent le long processus d’implantation d’un vignoble de qualité en France, dont la forme moderne s’est dessinée au cours du 19e siècle.

Le paysage viticole français s’est modelé tout au long des siècles de notre ère, marqué par des facteurs climatiques, géologiques, économiques et humains. Parfois surtout, moeurs et croyances, comme l’écrit Roger Dion dans son excellente Histoire de la vigne et du vin en France, dont je reprends les grands traits dans ce sujet, « y ont exercé une influence qui a pu prévaloir sur celle du climat« .

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. De même, l’interdiction par l’Islam des boissons fermentées a anéanti la culture de la vigne dans ces régions ; par la suite les conquêtes de l’Islam en Asie, en Afrique du Nord, jusqu’en Andalousie ont anéanti les premières tentatives – réussies – de culture du vin. Dans le même temps, l’hégémonie de Rome permit la propagation de la vigne vers le Nord, même en des contrées où le climat froid et humide la rendait difficile.

De grands vignobles furent ainsi créés sur les rives de la Seine, autour de Paris et de Trèves, vers le IVe siècle. L’expérience que les vignerons de la Méditerranée avaient acquise sur les pentes des Alpes servit aux contrées septentrionales. A l’époque d’Auguste, la viticulture alpestre était en effet bien implantée.

Après cela, lorsque la conquête romaine eut ainsi enrichi le monde viticole antique d’une grande province extra-méditerranéenne, l’influence chrétienne propagea cette culture jusqu’aux confins de l’Europe du Nord, et même au-delà de ses limites climatiques. Les moines, pour célébrer l’Eucharistie, avaient besoin de vin ; là ou s’établit une abbaye, là aussi fut plantée une vigne (fecit ecclesias et plantavit vineas). Cette viticulture ecclésiastique médiévale s’étendit jusqu’en Angleterre, dans les pays de la Mer du Nord, ainsi qu’en Poméranie et en Prusse Orientale, du VIe au XIIe siècle. Certes faibles, les récoltes suffisaient aux besoins liturgiques.

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Les trois ensembles géographiques de l’Europe viticole

A la fin du Moyen-âge, le domaine viticole européen atteint sa plus grande extension. On trouve trois grands ensembles.

– les bords de la Méditerranée : c’est une viticulture bénie des dieux, non palissée (ce qui évacue le problème des réserves de bois pour les échalas et de leur transport), où la Nature pourvoit à tout ; les vins, peu fragiles et de bonne garde, sont conservés à température ambiante dans des celliers, en rez-de-chaussée, et exposés aux changements de température.

– l’espace compris entre la Méditerranée et les pays voisins de la Manche et de la Mer du Nord : c’est une viticulture plus récente et aussi plus difficile, capable de produire des vins de qualité. Le vin est conservé dans des caves, à température fixe (10° à 12°) et dans des barriques de 5 à 6 hectolitres. Le tonneau serait donc né sous ces climats froids, fait en bois car il pouvait aussi servir pour le feu ; sous des climats plus doux, le vin était logé dans des vases de terre. L’origine du tonneau de chêne doit donc être cherchée dans le vignoble subalpin.

– les marges septentrionales aux abords de la Manche et de la Mer du Nord : c’est une viticulture pionnière, beaucoup plus incertaine. Mais la limite septentrionale de la vigne n’est pas une limite culturale, c’est en réalité celle « au nord de laquelle le vignoble n’est plus susceptible d’exploitation commerciale ». Au-delà, c’est-à-dire en Normandie, Bretagne, Artois, Picardie, Flandre, la bière et le cidre remplacent le vin comme boisson populaire. En-deça, l’arrivée des plants américains a grandement facilité la culture de la vigne, surtout après 1918 quand ils ont été utilisés comme producteurs directs (et non plus seulement comme porte-greffes). Plus résistants aux maladies et aux intempéries, « ils ont fait reculer vers le Nord ou remonter en altitude la limite des plantations capables d’un rendement large et sûr ».

Mais en réalité, si la vigne n’a jamais perduré au-delà de la limite Nord, c’est que son commerce n’était pas viable économiquement. Basse qualité et incertitude des rendements conduisent à consommer les vins sur place. Et le commerce qu’on pourrait en faire était trop restreint pour faire vivre des populations. La population rurale dépendait trop de riches propriétaires ecclésiastiques ou bourgeois, a contrario des vignerons du sud qui pouvaient en vivre pour leur propre compte. Et même si l’on faisait du vin dans ces régions du Nord, cela n’empêchait pas ses habitants de s’approvisionner plus au sud.

L’influence du climat a de toute évidence joué un rôle majeur dans l’établissement de la vigne. On comprend aisément qu’un climat ensoleillé lui soit plus propice que le ciel nuageux de la Manche ou les vents pluvieux du Nord-Ouest. En revanche, les régions basses, épargnées par les pluies, comme le Bassin Parisien et la Beauce, sont enclines à la production de la vigne mais aussi celle des céréales et des fruits.

De l’Atlantique au Rhin, le front septentrional du monde viticole fut, comme le souligne Roger Dion, en régression générale ; on notera toutefois, de nos jours, la résurgence de vignobles autrefois moribonds que sont le sud de l’Angleterre et la Belgique où dans les deux cas, il y est produit de très bons effervescents depuis une dizaine d’années.

Le conflit de deux économies rivales

Quant au « terroir« , l’ouvrage nous apprend que les fameux calcaires seraient moins indispensables qu’on ne le pense à l’établissement d’un vignoble de qualité. Ou plutôt que sa présence ne serait pas tant un atout pour la vigne qu’un désavantage pour la culture du blé : les céréales, plus profitables à l’économie, ont gagné du terrain au détriment de la vigne, partout où elles pouvaient s’implanter sauf sur certains types de sols, notamment calcaires, trop pauvres pour le blé ou le maïs. La vigne s’est donc installée par défaut, là où les céréales n’avaient aucune chance de prendre le terrain ! Les terrains plats sont l’apanage du laboureur tandis que les terres accidentées, calcaires, sont dévolues au vigneron.

Roger Dion écrit encore que si la viticulture commerciale, dans les environs de Laon, connut autrefois un tel essor, ce n’est pas parce qu’elle tirait un bénéfice particulier du calcaire grossier lui-même, mais bien parce que ce calcaire et les formations géologiques qui l’ont précédé dans la série des couches tertiaires ont produit un pays de versants, accidentés, où la culture des céréales devenait difficile, voire impossible.

L’offensive des labours au 19e siècle, la concurrence des vins du Midi avec le développement du chemin de fer achevèrent le retrait du vignoble vers les pays de la Loire. Banquiers et pouvoirs publics ont davantage encouragé la culture céréalière, plus régulière et lucrative ; les vignerons faisaient alors figure d’artisans désuets. Dans les dernières années du Second Empire, le credo que « seuls le blé et le bétail valent quelques chose en agriculture » se répand. La limite de progression (autour de Pithiviers, Toury) – ou de recul – de la vigne n’est pas climatique : elle sépare des types de sols arables inégalement doués, calcaires pauvres d’un côté, limons riches de l’autre.

L’agriculture, soeur rivale de la viticulture. Dans le Sud de la France, c’est tout l’inverse et la prospérité agricole décroît autant que s’étend la culture de la vigne.

Entre ses deux zones extrêmes, se place la région où la vigne a le plus fortement marqué l’économie et la vie sociale de l’Europe, et a fortiori la France.

A suivre…

Pour aller plus loin :

Le terroir, c’est quoi exactement ? Une définition à retrouver dans le Glossaire iDealwine

En savoir plus sur les travaux de la vigne

Consultez notre rubrique A la découverte du vin

A lire :

Histoire de la vigne et du vin en France, des origines au 19e siècle, de Roger Dion. CNRS Editions. 768 pages. 35 euros.

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