VinsClairsChampagne
Franck Pascal

Non, les raisins champenois ne produisent pas des jus qui pétillent dès le départ. Avant de faire du champagne, il faut donc faire du vin. Un vin tranquille qui est appelé vin clair jusqu’à sa prise de mousse. Nous avons eu l’occasion de déguster ces vins chez de nombreux producteurs. Premières impressions sur le millésime 2012 en Champagne.

Pour commencer faisons une petite révision technique pour ceux qui ne maîtriseraient pas encore la vinification du champagne. Après des vendanges obligatoirement manuelles (comme le stipulent les décrets de l’appellation), les raisins sont pressés et mis immédiatement en cuve (sans macération avec les peaux pour ne pas que les jus de pinot se colorent, sauf pour les rares rosés de pressurage direct) où ils se transforment en vin. Ces vins (dits vins clairs) sont ensuite généralement assemblés à des vins de réserve (clairs eux-aussi) des millésimes précédents selon des proportions propres au style des différents vignerons ou maisons, puis ils sont mis en bouteille. On ajoute alors au vin une liqueur de tirage composée de levures sélectionnées et de sucre, ce qui va déclencher une nouvelle fermentation dans la bouteille fermée par une capsule métallique. Cette nouvelle fermentation dure à peu près deux mois et donne son côté effervescent au vin : c’est ce qu’on appelle la prise de mousse. Lorsque la prise de mousse est terminée, les levures meurent et forment un dépôt. On laisse ensuite le vin mûrir un minimum de 15 mois pour les champagnes non millésimés et de 3 ans pour les millésimés. Selon ses choix, un producteur peut prolonger autant qu’il le souhaite cette période. A la fin, un remuage automatique (ou rarement manuel, sauf chez les meilleurs vignerons indépendants) permet d’amener le dépôt des levures mortes dans le col de la bouteille pour pouvoir l’expulser brutalement lors d’une opération appelée dégorgement. On ajoute alors éventuellement une liqueur de dosage (son absence ou sa quantité donne un champagne brut nature, extra brut ou brut) avant de boucher la bouteille par le bouchon en liège que le consommateur fera sauter avec plus ou moins d’élégance et de doigté…

Evidemment une bonne partie de la qualité d’un champagne se joue à la vigne (aidé ou pas par un climat favorable) et donc via des méthodes culturales plus ou moins respectueuses des sols et de la nature. Elle se joue aussi bien sûr dans la vinification des vins clairs, par des choix techniques (vinification en cuves inox, en foudres de chêne, en barriques…) et par des choix œnologiques (levures indigènes ou non, dosage du soufre, emplois d’adjuvants divers ou non, etc.). Et la meilleure façon d’appréhender la qualité d’un futur millésime reste de déguster les vins clairs de l’année, qui permettront d’apprécier la valeur globale du dernier millésime, les expressions des divers cépages et terroirs qui entreront ensuite dans les assemblages (ou non s’il s’agit de champagnes parcellaires). Par législation, les vins clairs ne peuvent être tirés qu’à partir du mois de janvier suivant les vendanges et doivent être mis en bouteilles au plus tard avant les vendanges suivantes (sauf ceux destinés à devenir des vins de réserve). Les meilleurs vignerons attendent généralement le mois de juillet afin que les vins nouveaux soient le plus affinés possible en exprimant toutes les nuances dont ils sont capables.

C’est pour cela que la période habituelle pour goûter les vins clairs se situe généralement vers la fin du mois d’avril, au moment où de nombreux bons vignerons vont commencer les opérations de champagnisation de leurs vins. Les 21 et 22 avril, deux groupements de vignerons faisaient ainsi déguster leurs vins clairs 2012 (et leurs champagnes), “Terroirs et Talents” à Epernay et “Terres et Vins de Champagne” à Aÿ.
Ces deux dégustations, ne regroupant que des vignerons indépendants généralement d’un haut niveau qualitatif, ont clairement révélé que le millésime 2012, avare en quantité (tant les conditions climatiques ont fait souffrir la vigne tout au long du cycle végétatif, sauf à la fin), était une très bon millésime sur le plan qualitatif, avec des fruits s’exprimant généralement avec beaucoup de pureté et de netteté, un côté assez cristallin, beaucoup de vivacité sans être trop acerbe, une belle expression des différents terroirs (jolies nuances entre les sols très calcaires et les sols plus marneux, par exemple). Bref un millésime qui donnera probablement des champagnes millésimés de qualité et qui formera pour les autres une base très intéressante à compléter idéalement avec des vins de réserve 2011, globalement moins vifs, ou sans doute avec du 2009 pour ceux qui en auraient encore.

La dégustation des vins clairs possède ses spécificités, ses codes pourrait-on presque dire, qui pourraient dérouter un amateur novice. Par exemple ces vins paraissent toujours très acides, un peu “bruts de fonderie”, ce qui est assez normal pour des vins encore nouveaux nés et, pour éviter que cette acidité ou cette brutalité (relative) ne soient trop gênantes, les producteurs les font déguster à température quasiment ambiante (18° environ). Ces vins sont ensuite très peu alcoolisés. En champagne, même chez les bons vignerons les vins atteignent très fréquemment à peine 10 ou 11 degrés à la vigne. C’est la seconde fermentation du sucre ajouté avec la liqueur de tirage qui fera monter les vins à 11,5 ou 12 degrés. Evidemment, chez les producteurs les moins qualitatifs, les raisins sont plutôt à 9 degrés et sont généreusement chaptalisés lors de l’élaboration des vins clairs… Enfin, troisième élément moins déroutant mais étonnant : les vins clairs issus de pinot noir ou de pinot meunier sont beaucoup plus nettement teintés de rose que les futurs champagnes qu’ils composeront. En fait, lors de la refermentation en bouteille et avant le dégorgement, une partie de la (légère) coloration se dépose avec les lies et est donc expulsée avec le reste. Certains producteurs moins scrupuleux décolorent parfois artificiellement leurs vins…

Aux dégustations des 21 et 22 avril, la hiérarchie des vins clairs se révèle, sans surprise, totalement en phase avec la qualité des champagnes. Autrement dit, à bon producteur, bons vins clairs et inversement. Parmi les très nombreux bons vins, retenons pour le principe :
– les vieilles vignes de chardonnay d’Avize élevées en fûts de chêne de chez de Sousa
– les pinots meuniers du Chemin des Conges de Janisson-Baradon
– Partition et blanc de noirs de Pierry de chez J-M Sélèque
– tous les vins, absolument splendides (goûteux, énergiques, équilibrés, finales très salivantes) chez Vincent Laval (Champagnes Georges Laval), soit l’assemblage de Cumières, soit les parcelles “Les Chênes”, “Les Hauts de Chèvres” et “Les Longues Violes”, vraiment de très grands vins, malheureusement un tout petit domaine et des champagnes difficiles à trouver…
– l’ensemble des vins de Pascal Doquet, Franck Pascal, Alexandre Chantogne, Vincent et Raphaël Bérèche, Francis Boulard, Agrapart, totalement représentatifs du millésimes et de leurs terroirs avec une mention particulière pour ceux de Benoît Lahaye, particulièrement vibrants et dynamiques, aux finales très minérales et ceux de Tarlant au niveau des plus grands, en progrès constant depuis des années et qui expriment parfaitement les magnifiques terroirs, vieilles vignes et parfois vieux cépages du domaine !

 

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